samedi 15 septembre 2018

De la culture du contrôle à la culture de l'évaluation : une transition nécessaire en classe de L.E.


Image prise de: www.1jour1actu.com 
    Évaluer en langue étrangère n'est pas toujours une affaire évidente. Or, je dis «évaluer» et non pas «contrôler» car le contrôle, même s'il est un objet à ne pas bâcler, c'est-à-dire, à prendre avec des pincettes, ne saurait s'égaler à l'évaluation, d'autant moins (si j'ose dire) à l'évaluation de la compétence à communiquer et à agir en langue étrangère. Trois arguments pour illustrer :



1. La culture du contrôle est la culture du panoptique. 


Image par Rudy Salin. 
      Tel que l'aurait décrit le philosophe Foucault, la culture du contrôle peut être analogue à la culture du panoptique (même si dans le premier cas l'objet de discipline, bien qu'omniprésent, est surtout visible) et cela car son objet d'intérêt par excellence (le contrôle-panoptique) est l'héritier d'un paradigme attribuant toute autorité à la connaissance, notamment, à la connaissance sanctionnable. À en croire Claire Bourguignon (2008), le contrôle «lié au processus d'enseignement, s'effectue à partir des savoirs transmis par l'enseignant. Ceci suppose l'existence d'une connaissance objective de l'objet langue.» (p,2). Le contrôle possède, de ce fait, quelques caractéristiques inhérentes au paradigme d’où il provient, à savoir : une priorité accordée au savoir comme médiateur entre les sujets et, par conséquent, une priorité au processus d’enseignement (savoir transmis), connaissances sanctionnables, nature quantitative fondée sur l’amont et sur le produit, perspective négative de la sanction, etc. 



      Donc, si la culture du contrôle est la culture du panoptique, culture en quelque sorte restreinte, culture qui serait incapable de rendre compte de la complexité de la langue en acte de communication (celle-ci étant conçue comme un objet extérieur mesurable par la dichotomie vrai/faux), enfin, si la culture du contrôle nous amène à la sanction, la culture de l'évaluation (lorsque celle-ci n'est pas vue sous le regard de ce qui est autoritaire comme dans l'image ci-dessus), en revanche, nous invite à la construction et reconstruction du savoir, à la remise en cause du processus d'apprentissage de la langue étrangère : «l'évaluation apporte un éclairage nouveau sur le savoir» (p,2) -nous dit Bourguignon (2008)-, évaluer c'est fournir le processus d'apprentissage d'un accompagnement permettant à chaque apprenant «de connaître son profil d'apprentissage» (p, 11) -insistent Defays et Maréchal (2003). C'est que l'évaluation se place au centre du paradigme de la compétence, si bien qu'elle met le sujet au centre des relations enseignant-apprenants, se centre sur la compétence (définie par Bourguignon comme la maîtrise opératoire des connaissances), c'est-à-dire, sur l’aptitude à utiliser la langue en situation. L'évaluation est, en conséquence, positive et veut que les connaissances soient construites et reconstruites en permanence par la réflexion de ceux qui y sont impliqués.  


2. L'évaluation dépasse le contrôle.  

     
Prise de: www.afisteb.be
      De ce fait,  le contrôle, sans pour autant être dépourvu de rigueur, semble un outil beaucoup plus simple pour analyser les différents savoirs et compétences mis en œuvre lors d'une performance en langue étrangère car «si contrôler les connaissances en langue est un cate simple qui vise à mettre en regard un résultat attendu et un résultat produit, c'est aussi un acte réducteur puisque connaître un code n'a jamais permis de l'utiliser de manière adéquate.» (Bourguignon, 2008, p, 4). Le passage à l'évaluation de la compétence à communiquer et à agir en L.E. s'avère, donc, indispensable. Quelques personnes diraient, en revanche, que c'est la fusion qui s'avérerait impérative : je ne saurais être en dessacod; mais c'est que, comme le croient Bourguignon et les spécialistes du CECR (2001), l'évaluation n'exclut pas le contrôle, mais elle le dépasse autant que la compétence n'exclut pas la connaissance, mais elle la dépasse aussi (Bourguignon, 2008). C'est la raison pour laquelle je prône aujourd'hui le passage à une véritable culture de l'évaluation dont les défis sont encore à portée de main, d'autant plus qu'il faut partir d'une préparation adéquate à la réflexion sur le processus aussi bien chez les enseignants que chez les apprenants. Ces enjeux cernant le passage à une véritable culture de l'évaluation semblent plus difficiles à surmonter que l'on ne peut l'imaginer, notamment dans une culture comme la colombienne où le contrôle autoritaire semble avoir toujours imposé son pouvoir.         
 

3. L'évaluation est une affaire d'une complexité à étonner: question du glissement aux pratiques enseignantes.     

     Peut-être -diront quelques personnes- le débat auquel je m'attaque dans cet article a été déjà dépassé. Peut-être ces personnes n'ont-elles pas tort: Bourguignon parlait déjà du passage au paradigme de la compétence, qui est à la base de cette nouvelle notion d'évaluation, dès les années 2000. Alors, maintes raisons peuvent être alleguées contre la pertinence d'un article comme celui-ci. Et pourtant, on sait bien que le passage de la discussion épistémologique à son action dans des pratiques enseignantes est lent et parfois même tortueux (encore plus dans un contexte comme le nôtre très ancré à la tradition et, quelquefois, très éloigné des discussions éuropéennes). Ce n'est pas qu'il manque de la volonté chez les enseignants de langues étrangères de part le monde, c'est tout simplement que le glissement d'un paradigme à un autre implique la remise en question de quelques représentations instaurées il y a très long temps et prolongées par la tradition, ce qui n'est pas toujours évident. Comme l'indiquent Bourguignon (2001; 2008), Puren (2001; 2006) et même le Conseil de l'Europe (2001), le passage à l'évaluation est un processus complexe pour les enseignants car il implique d'accepter : 
  • que le savoir ne soit pas au cœur de l'apprentissage, mais l'apprenant. (Bourguignon, 2008). 
  • que l'évaluation soit liée aussi à la conception que l'on se fait : 1) des mécanismes psychologiques d'apprentissage (modèles cognitifs); 2) de la langue (modèles de compétence linguistique); 3) de la culture (modèles de compétence culturelle); et que, par conséquent, elle ait une nature complexe à ne pas réduire. (Puren, 2001).
  • que toute pratique d'évaluation doive se centrer sur la mise en œuvre de la compétence de la langue (dite performance) et qu'elle se doive d'être rigoureuse, ce qui implique d'avoir recours aux principes de validité, de fiabilité et de faisabilité, ainsi qu'à un nombre à la fois manipulable et exhaustif de catégories/critères d'évaluation. (Conseil de l'Europe, 2001).   

En guise de conclusion...  


Image par François Muller. 
    Alors, les défis à surlever sont très divers et multidimensionnels. On pourrait dire, donc, que c'est aux institutions, aux concepteurs d'évaluation et surtout aux enseignants d'être en mesure d'y réflechir, de se mettre au jour, de mener à bien le passage à une véritable culture de l'évaluation. Toutefois, le débat devrait aller au-delà du contexte éducatif et, encore plus, au-delà du contexte scolaire car le glissement de paradigme est, avant tout, une affaire culturelle. Cela va de soi, donc, qu'une vision plus vaste de l'évaluation soit appellée à apparaître et que des changements dans ce sens ne soient menés qu'en tenant compte de la tradition évaluative de chaque culture. L'évaluation est sans doute, comme Defays et Maréchal (2003) l'ont déjà remarqué, une gageure, une gageure qui concerne une plus grande partie de la société; elle concerne aussi les visions des différentes cultures dont les archétypes et les représentations sur le métier d'enseignant et sur l'évaluation se trouvent dans une remise en cause permanente.

RÉFÉRENCES 

  • Bourguignon, C., (2001). L’évaluation de la communication langagière : de la connaissance de l’objet à la compétence du sujet. Dans : Actes de la journée d’étude sur l’évaluation. Conférence réalisée dans le cadre de la XXXIVème journée d’étude sur l’évaluation, décembre 2001. Mis en ligne le 22 septembre 2010. Doi : 10.4000/asp.1730.
  • Bourguignon, C., (2008). Du contrôle des connaissances à l’évaluation de la compétence : défi et enjeu pour l’enseignement/apprentissage des langues. Récupéré de :http://www.cndp.fr/crdpdijon/IMG/pdf/Bourguignon_conn_eval_competence_2008.pdf
  • Conseil de l’Europe : Division des Politiques linguistiques (ED). (2001). Un cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris, France : Les Éditions Didier.      
  • Defays, J., & Maréchal, M. (2003). Approches évaluatives en français langue étrangère. Cahiers Du Service De Pédagogie Expérimentale, 15, pp. 427-436. Récupéré de : https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/36500/1/Defays%20Approches%20%C3%A9valuatives%20en%20fran%C3%A7ais%20langue%20%C3%A9trang%C3%A8re.pdf
  • Puren, C. (2001). La problématique de l’évaluation en didactique scolaire des langues. Langues Modernes, 2, pp. 12-29.  
  • Puren, C. (2006). L’évaluation a-t-elle encore un sens ? Langues Modernes, revue de l’Association des Professeurs de langues vivantes (APLV), pp. 1-4. Récupéré de : http://www.aplv-languesmodernes.org/article.php3?id_article=36

        ET POUR VOUS.. 
                                        C'EST QUOI ÉVALUER EN L.E. ?
                                                                                                     C'EST QUOI ÉVALUER UNE L.E. EN COLOMBIE OU DANS VOS PAYS D'ORIGINE?



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